Un peu de botanique
Le frêne ... les frênesOui, "les" frênes, car il existe plus de 40 espèces dans le genre botanique Fraxinus. La classification la plus communément admise est celle de Wallander qui - dans sa dernière version - définit 48 espèces réparties en 6 sections (Dipetalae - Melioides - Pauciflorae - Sciadanthus - Fraxinus et Ornus). Parmi ces 48 espèces, 3 seulement sont autochtones en France (et plus généralement en Europe). Il s'agit du frêne commun (Fraxinus excelsior, aussi appelé frêne élevé), du frêne oxyphylle (Fraxinus angustifolia, frêne à feuilles étroites ou frêne du midi) et du frêne à fleurs (Fraxinus ornus ou frêne à orne ou encore frêne à manne). Sur la figure ci-contre, issue de travaux de l'Université d'Orsay, on peut voir que la forme des fleurs est très variable au sein du genre Fraxinus, y compris entre espèces de la même section (fleurs avec calice et corolle, fleurs sans calice, fleurs sans corolle, fleurs nues). L'étude de Wallander fournit une riche description de chaque espèce, illustrations à l'appui. Précisons simplement que la diversité ne se limite pas à la biologie florale mais aussi au mode de reproduction : certaines espèces sont anémophiles (?) et d'autres entomophiles (?), certaines sont dioïques (?), d'autres monoïques (?), avec des systèmes de reproduction allant de l'hermaphrodisme (?) (exemple : F. angustifolia) à la polygamie (?) (exemple : F. excelsior) en passant par un système très rare qu'est l'androdioécie (?) (exemple : F. ornus). Américain d'abord, asiatique ensuite, européen depuis "peu"Le genre Fraxinus serait apparu dans ce qui constitue aujourd'hui l'Amérique du Nord il y a environ 45 millions d'années (Eocène). S'en est suivie la colonisation de l'Asie et la différentiation des espèces asiatiques il y environ 35 millions d'années. L'espèce Asiatique Fraxinus mandshurica serait apparue plus tard et les deux espèces européennes F. excelsior et F. angustifolia n'en auraient divergé que "récemment" (environ 15 millions d'années). F. ornus aurait divergé des autres espèces de la section Ornus encore plus récemment (9 millions d'années.) Pour une description exhaustive et richement illustrée des 3 espèces européennes F. excelsior, F. angustifolia et F. ornus (dont leurs cartes de distribution en Europe), nous vous conseillons la lecture de la brochure éditée dans le cadre du projet européen FRAXIGEN, en libre accès ici. Précisons simplement que le frêne commun a une distribution plus septentrionale que le frêne oxyphylle - qu'il est également plus fréquent en altitude (jusqu'à 1500m contre 300m pour le frêne oxyphylle) mais que les deux espèces s'hybrident spontanément là où leurs aires de distribution se recouvrent (vallée du Rhône et de la Loire par exemple). Frêne commun et frêne oxyphylle, quelques clés de reconnaissanceLa distinction entre les deux espèces peut se faire sur plusieurs critères botaniques, dont la couleur des bourgeons, mais parmi les critères les plus fiables, citons que : - alors que chez F. excelsior (comme chez toutes les autres espèces du genre Fraxinus) les inflorescences prennent la forme de panicules (ou grappes de grappes), celles de F. angustifolia sont des racèmes (ou grappes). - alors que F. excelsior a un système de reproduction polygame, avec des arbres mâles, des arbres femelles et des arbres hermaphrodites, F. angustifolia est strictement hermaphrodite. Evidemment, les hybrides entre les deux espèces ne peuvent être distingués des espèces parentales qu'en recourant à des analyses moléculaires. Les deux espèces sont anémophiles et produisent des fruits ailés appelés samares qui renferment chacun une graine. |
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Ce qu'on leur doit
La cinquième essence feuillue de la forêt françaiseD'après les statistiques 2014 de l'Inventaire Forestier National, le frêne (au sens large) contribue à 4 % du volume de bois de la forêt française, ce qui en fait la cinquième essence feuillue pour ce critère. Les peuplements où le Frêne constitue l'essence principale représentent 304 000 ha, soit près de 2% de la surface forestière française. Toujours en tenant compte des 3 espèces (Fraxinus excelsior, F. angustifolia et F. ornus), on trouve du frêne sur quasiment tout le territoire mais le frêne commun - espèce d'intérêt sylvicole largement supérieur aux deux autres - se rencontre principalement dans les régions du Nord, de Champagne-Ardennes et Rhône Alpes. On le rencontre jusqu'à 1300m altitude contre 500 m pour le frêne oxyphylle. Un bois aux multiples propriétésMême s'il ne s'agit pas là de son usage le plus noble, le frêne constitue l'un des meilleurs bois de feu que nous possédions. Il produit un bois mi-lourd et dur (source CNDB). Concernant ses qualités technologiques, nous renvoyons à l'étude de G. Nepveu (disponible ici). L'auteur, se fondant sur une compilation d'ouvrages généraux sur le bois, conclut que "le Frêne est l'un des meilleurs bois relativement aux autres bois feuillus indigènes d'usage courant. Pour la dureté, il dépasse tous les autres ; pour le module d'élasticité, il n'est guère dépassé que par le Bouleau et il est proche du Charme et du Hêtre." Toujours selon cette étude, c'est lorsqu'il pousse vite qu'il produit le bois le plus dense et de meilleur qualité car la proportion de bois d'été aux vaisseaux plus fins y est plus grande. Parmi les usages qui valorisent ces propriétés mécaniques, citons les usages traditionnels que sont la fabrication de manches d'outils ou d'articles de sport mais aussi les usages les plus modernes pour la construction bois (lien). Il se prête au placage, parfois précieux lorsque son veinage est particulier (bois ondé, loupe) ou plus démocratique lorsqu'il s'invite à plusieurs pages des catalogues des géants du meuble grand public. Il est apprécié pour la fabrication d'escaliers qui sont réputés pour ne pas grincer et on en fait également des parquets. Son prix de vente est légèrement inférieur à celui du chêne, mais plus du double de celui du hêtre ou du peuplier (source European SA). Mûr à moins de 60 ans contre plus de 100 ans pour un chêne, le Frêne représente un compromis qu'il serait dommage de voir disparaitre. En ville ou à la campagne : une essence majeure hors forêt égalementLe frêne est présent partout, au point qu'on en vient (venait !) parfois à la considérer comme envahissant (exemple). Qu'il soit normand, berrichon ou champsaurin, le paysage de bocage doit souvent beaucoup au frêne. Les arbres y sont souvent conduits en têtards car leur feuillage a longtemps procuré un fourrage aérien pour le bétail. Sa valeur énergétique est relativement faible mais sa digestibilité est meilleure que celle des pailles et sa teneur en azote et en minéraux bien plus élevée. Les épisodes de sécheresse de 1976 ou 2015 ravivent épisodiquement l'intérêt du frêne comme arbre fourrager, pratique qui n'a jamais cessé d'exister en Afrique du nord. Cette pratique permet également la récolte de bois de feu. Sur une période de 60 ans, exploité tous les 8 ans, un frêne aura fourni 10 stères de bois. Le frêne est aussi largement utilisé en plantations d'ornement. Plusieurs centaines de variétés ornementales de frêne commun, frêne oxyphylle et frêne à fleurs ont été sélectionnées en Europe, mais aussi sur d'autres continents. Certaines se distinguent par la couleur de leur feuillage en saison (ex. F. excelsior 'Variegata' ou F. ornus 'Variegata', aux feuilles marbrées de blanc) ou en automne (ex. F. angustifolia 'Raywood' au feuillage lie de vin), la couleur de leur bois (ex. F. excelsior 'Aurea') ou leur architecture (ex. F. excelsior 'Pendula' et 'Pyramidalis'). Les hôtes d'une biodiversité elle aussi menacéeMême s'il n'existe pas d'étude similaire en France, une étude britannique récente (en libre accès ici) a recensé 1058 espèces animales et végétales associées au frêne. Parmi les 55 mammifères recensés, 28 utilisent le frêne en tant que tel tandis que les autres partagent son habitat ; 44 espèces (4 lichens, 11 champignons et 29 invertébrés) semblent exclusivement dépendantes des frênes (vivants ou morts) tandis que 66 autres en sont fortement dépendantes. Une précédente étude britannique avait déjà alerté sur la possible disparition de nombreux lichens associés aux frênes . Parmi les espèces menacées, on peut citer le damier du frêne, papillon faisant déjà l'objet de mesures de protection en France (voir ici).
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