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Sélectionner intelligemment
Premiers résultats et conséquences pour la sélection
Premiers résultats, premières conclusionsElaborer une stratégie de création variétale qui apporte une solution durable au problème de chalarose nécessite de répondre au préalable à plusieurs questions. Plusieurs d'entre-elles sont listées ci-dessous, avec les éléments de réponse que nous avons déjà obtenus et les conclusions qui nous semblent s'imposer. Les résultats présentés sont tous issus de notre dispositif expérimental de Devecey (Doubs). Situé à quelques kilomètres du lieu où la chalarose a été détectée pour la première fois en France en 2008, il est le premier de nos dispositifs de terrain à avoir été touché. Ce dispositif contenait à l'origine 788 frênes communs issus de 3 provenances de l'Est de la France. On dit qu'il est "structuré en familles" car la traçabilité des graines utilisées permet de dire quels arbres sont demi-frères (arbres issus de graines récoltées sur le même arbre mère). Il a été planté en 1995 avec des plants de 2 ans, les arbres avaient donc 22 ans en 2015. Existe-t-il une variabilité pour la résistance à la chalarose chez le frêne ?Voici l'évolution de l'état sanitaire des arbres au houppier dans le dispositif de Devecey entre 2010 et 2015 : Afin de ne pas confondre la résistance avec l'échappement qui est le simple fait pour l'arbre de ne pas avoir été infecté par le champignon, il est important de comparer les arbres dans des environnements où le champignon est bien installé. On voit très clairement qu'en 2010, année d'apparition de la maladie dans cet essai, très peu d'arbres présentaient des symptômes au houppier car beaucoup ont échappé au champignon, encore peu présent sur le site. Le taux d'individus sans symptômes au houppier chute ensuite très rapidement pour atteindre 3% seulement en 2015. La mortalité, en revanche, évolue très lentement pour atteindre 12% en 2015. Ces évolutions semblent caractéristiques de l'épidémie de chalarose : une mortalité qui augmente significativement après 5 ans d'exposition à la maladie et un très faible taux d'individus sains, de l'ordre de 1 à 2%.
Le niveau de résistance des frênes est-il variable selon leur origine géographique ?
La question est de savoir si certaines provenances sont à privilégier par rapport à d'autres. Le dispositif de Devecey ne contient que trois provenances géographiquement proches et nous n'avons trouvé aucune différence significative entre ces trois provenances pour le niveau de sensibilité à la chalarose. Sur la base d'échantillonnages plus vastes, plusieurs de nos confrères étrangers sont arrivés à la même conclusion d'absence de différences entre provenances de Frêne commun pour la résistance à chalara. Seule une étude Lituanienne, où 44 provenances issues de plusieurs pays européens ont été comparées, fait état de différences significatives. Mais les auteurs ont tempéré leur résultat en précisant qu'ils avaient évalué l'état général des arbres (pas uniquement les dégâts dus à chalara) et que des gelées tardives dans leur plantation comparative ont certainement défavorisé les frênes originaires des pays du Sud de l'Europe. Les décalages temporels qui peuvent exister entre populations mais aussi au sein des populations de Frêne pour les stades de développement saisonniers (ce que l'on appelle la "phénologie"), méritent cependant d'être analysés avec plus de précision. En effet, plusieurs auteurs ont constaté une relation négative entre l'intensité des dégâts de chalarose et la précocité de débourrement (feuillaison) ou de sénescence/chute des feuilles. Nous avons nous mêmes observé cette tendance en étudiant la relation entre les dégâts au houppier observés en 2015 et la précocité de feuillaison mesurée sur le dispositif de Devecey en 1996 (la phénologie est réputée comme étant un caractère stable au cours de la vie d'une plante) : Il est probable que cette relation ne relève pas à proprement parler d'une forme de résistance mais plutôt de ce que l'on appelle "évitement". On imagine aisément que si les feuilles tombent avant que le champignon n'ait pu pénétrer le rameau, les dégâts sont fortement minimisés.
Cette variabilité est-elle d'origine génétique et transmissible à la génération suivante ?Lorsque l'on compare les moyennes de 23 familles présentes dans le dispositif de Devecey, on constate une très grande variabilité pour l'infection au houppier. Ceci est une preuve que le patrimoine génétique n'est pas sans conséquence sur la sensibilité à la chalarose. En génétique, on estime un paramètre que l'on nomme "héritabilité au sens strict" et qui permet de prédire si la sélection sur un caractère (par exemple la résistance à une maladie) sera efficace pour améliorer le niveau de ce caractère dans la génération suivante. Comme illustré par la figure ci-dessous, ce paramètre d'héritabilité varie entre 0 et 1 ; plus il est élevé plus le caractère étudié est dit "héritable". Sur la base des données du site de Devecey, nous avons estimé l'héritabilité de la résistance au houppier à 0,42 et celle de la résistance au collet à 0,42 également. Il s'agit là de valeurs d'héritabilité modérées qui autorisent la sélection (des parents résistants donneront une meilleure descendance que des parents sensibles) mais qui indiquent que la génération suivante sera malgré tout très variable et nécessitera un tri.
La résistance s'exprime-t-elle indifféremment quelle que soit la partie de l'arbre considérée ?Comme l'illustre la figure ci-dessous, il existe une certaine relation entre les sévérités des symptômes qui s'expriment au houppier d'un arbre (défeuillaison) et à la base de son tronc (nécroses au collet). On voit clairement que les arbres les plus sensibles au houppier sont - en moyenne - les plus sensibles au collet. Cependant, cette relation n'est pas complète puisqu'il est possible de trouver des arbres fortement dépérissants au houppier et sans nécroses au collet et vice-versa.
La résistance est-elle stable dans le temps ?C'est LA question essentielle est celle à laquelle il est le plus difficile de répondre. "Avec le temps" sous-entend deux choses : 1) quel que soit l'âge de l'arbre et 2) pendant toute la vie de l'arbre et donc quelles que soient les souches du champignon auxquelles il sera confronté. Répondre aux deux volets de cette question nécessite :
Seule une compréhension de l'interaction entre l'arbre et le champignon et de la variabilité des deux protagonistes permettront de répondre avec certitude à cette question.
Tolérance plutôt que résistance ?D'autres caractères peuvent être sélectionnés face au risque de chalarose. L'évitement et l'échappement cités plus haut en font partie. Nous doutons cependant de l'efficacité d'une stratégie qui reposerait uniquement sur la phénologie, et donc sur des décalages temporels entre les cycles de développement de l'arbre et du champignon. Ils sont en effets soumis aux aléas climatiques et devraient certainement venir en complément d'une sélection pour la résistance proprement dite. Une stratégie complémentaire et que l'on imagine plus durable consisterait à sélectionner des frênes qui soient tolérants à la chalarose, c'est à dire qui sont capables de maintenir leur potentiel de survie/croissance/reproduction tout en étant sensibles à la maladie. La difficulté réside dans le fait qu'évaluer le niveau de tolérance d'un frêne à la chalarose nécessite de connaitre son potentiel de croissance en l'absence de chalarose et toutes choses égales par ailleurs (site de plantation, âge des arbres etc.). Ce type de mesure est facilement réalisable sur des plantes que l'on est en mesure de bouturer (cloner) et donc de reproduire à l'identique, or le frêne se bouture relativement difficilement. Il faut également disposer de fongicides permettant d'éliminer le champignon pour accéder au potentiel de croissance évoqué précédemment. Cette piste sera explorée une fois ces verrous techniques levés, et cette stratégie viendra en complément d'une sélection pour la résistance proprement dite. |
Anticiper et conserver
AnticiperParce que nous avons espoir de pouvoir diffuser à court terme des variétés de frêne sélectionnées pour la résistance à la chalarose, nous développons et acquérons les connaissances et les outils nécessaires à l'hybridation et à la multiplication du frêne : - Etude du système de reproduction du frêne commun en partenariat avec le laboratoire d'Ecologie, Systématique et Evolution de l'Université de Lille 1 : - Multiplication végétative du frêne par greffage et (plus difficile) par bouturage en partenariat avec les Pépinières Lemonnier : - Culture in vitro au sein de notre laboratoire dédié : SauvegarderLa conservation des ressources génétiques du frêne est un chantier qu'il nous semble urgent d'ouvrir et pour lequel nous sommes en quête de moyens d'action et de collaborations. En effet, la chalarose progresse inéluctablement, emportant avec elle des arbres dont le patrimoine génétique est irrémédiablement perdu. Or un frêne peut être sensible à la chalarose et présenter par ailleurs des caractères intéressants (résistance à d'autres maladies ou insectes, tolérance au froid, vigueur ...). Si nous ne souhaitons pas transposer la cigale et la fourmi en "le frêne se retrouva fort dépourvu quand l'agrile fut venue", il est urgent de conserver la diversité génétique du frêne, ce qui nécessite de répondre au préalable aux questions suivantes :
Il nous semble également qu'il faudrait étendre la réflexion au frêne oxyphylle lui aussi menacé par la chalarose. Actuellement, plus de mille lots de graines de frêne (essentiellement frêne commun) issus de toute l'Europe sont conservés à l'INRA à une température de -7°C. Ces lots sont des reliquats du matériel végétal qui a été planté en dispositifs. Ils ne constituent donc pas une collection représentative de la diversité du frêne et ce mode de conservation ne garantit pas une durée de stockage suffisante. Il s'agit cependant de la seule banque de graines de frêne disponible en France ... |
Projets en cours
Une grande part de nos travaux est financée par le Ministère de l'Agriculture (Bureau de la Gestion Durable de la forêt et du bois). Ces financements sont dirigés en priorité vers l'évaluation de notre réseau de dispositifs de terrain. Très récemment, une demande a été formulée afin que l'INRA élabore un programme de conservation des ressources génétiques du frêne. Sur la période 2015-2017, nous sommes également partie prenante d'un projet mutlipartenarial coordonné par le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF) et financé à la fois par le Ministère de l'Agriculture (Département de la Santé des Forêts) et l'interprofession (France Bois Forêt) : le projet CHALFRAX (site web). La plaquette de présentation de ce projet est disponible ici Le frêne fait par ailleurs partie des espèces concernées par un projet financé par la Région Centre Val de Loire : le projet SPEAL (désormais SPEAL 2, site web). Il s'agit d'un projet de sélection participative associant pépiniéristes et chercheurs. |
Ce n'est pas faute d'avoir essayé ...
Nous cherchons à défendre la cause du frêne et à proposer des actions de recherche dès que l'occasion se présente. Pour ce faire, nous répondons régulièrement à des appels à projets émanant de différents financeurs. Malheureusement, la compétition est rude et les échecs ne sont pas rares. En voici la liste :
1- un projet européen (appel à projets "Interreg Atlantique") avec des partenaires Irlandais, Anglais, Portugais et Espagnols afin de proposer une stratégie de sélection et de conservation des ressources génétiques du frêne à l'échelle européenne. 2- un projet national (appel à projets "GRAINE" de l'ADEME) à l'initiative du Parc Naturel Régional de l'Aubrac afin de guider les gestionnaires du parc dans une stratégie de sélection de frênes têtards résistants à la chalarose.
1- un projet intitulé "Sauvons le Frêne d' Europe (Save European Ash) " a été proposé au réseau d'excellence européen EVOLTREE. Dans ce projet, nous avions proposé d'utiliser des outils moléculaires de dernière génération pour caractériser la diversité présente dans la collection de graines de Frêne que l'INRA a constituée depuis plus de vingt ans. Cette collection couvre 11 pays européens et il s'agit, à notre connaissance, de la seule collection de ce type en Europe. Certaines graines ayant été collectées avant l'arrivée de la chalarose et d'autres après, ce travail aurait permis de quantifier l'impact de la maladie sur la diversité globale de l'espèce. |
Nos publications
Publications grand public- La chalarose du frêne, une synthèse rédigée pour le catalogue des pépinières Lemonnier (2016), téléchargeable ici Publications techniques- La chalarose du Frêne en France, un article co-signé par les chercheurs de l'INRA de Nancy (UR IAM) et de l'INRA Val-de-Loire (UR AGPF) pour le numéro 228 de la revue Forêt-Entreprise (2016) Publications scientifiques- Rising Out of the Ashes: Additive Genetic Variation for Crown and Collar Resistance to Hymenoscyphus fraxineus in Fraxinus excelsior, Facundo Muñoz, Benoit Marçais, Jean Dufour, and Arnaud Dowkiw, Phytopathology (2016) et en version non définitive mais libre de droits ici - Estimation of Ash Mortality Induced by Hymenoscyphus fraxineus in France and Belgium, Benoit Marcais, Claude Husson, Olivier Cael, Arnaud Dowkiw, François-Xavier Saintonge, Laurence Delahaye, Catherine Collet, Anne Chandelier, Baltic Forestry (2017) lien - Polygamy or subdioecy? The impact of diallelic self-incompatibility on the sexual system in Fraxinus excelsior (Oleaceae), Pierre Saumitou-Laprade, Philippe Vernet, Arnaud Dowkiw, Sylvain Bertrand, Sylvain Billiard, Béatrice Albert, Pierre-Henri Gouyon, Mathilde Dufay, Proceedings of the Royal Society Series B (2018) lien |